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Interview
Jordan Rudess, le 05/11/2007
Par : Spherian & Guillaume Erard




C’est à Wolverhampton, dans la banlieue de Birmingham, que la partie anglaise de la tournée européenne de DREAM THEATER s’arrête pour un soir. C’est l’occasion rêvée de rencontrer le virtuose Jordan Rudess alors que son actualité musicale est extrêmement chargée. La tournée Systematic Chaos de DREAM THEATER s’ajoute aux sorties de son excellent nouvel album solo The Road Home et celle de Spontaneous Combustion, un album de jams enregistrés lors de la composition du second opus de LIQUID TENSION EXPERIMENT.

Nous rencontrons le maître quelques heures avant le concert. Jordan est l’égal de son personnage scénique : relax et très souriant. Il se dégage de ce musicien hors du commun un intense sentiment de sérénité. L’homme n’est pas avare de bonnes anecdotes et se confie tour à tour sur son évolution musicale, sa façon de composer et l’éventuelle résurrection de LIQUID TENSION EXPERIMENT.

Entretien réalisé le 5/11/07 par Spherian et Guillaume Erard (retrouvez la version originale de l’interview sur http://www.guillaumeerard.com/music/articles/an-interview-with-jordan-rudess.html).

Un grand merci à Barbara Lysiak du label Magna Carta d’avoir pris soin d’organiser cette rencontre.



Dark Side Of Metal Earth (DS) : Bonjour Jordan. Commençons par ton nouvel album solo The Road Home si tu le veux bien. Pourquoi sortir un album de reprises au lieu de compositions originales ? Est-ce dû au manque de temps ?

Jordan Rudess (J) : J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à ce qui pourrait être un projet intéressant, à la fois pour moi et pour les fans. Et au départ, j’avais dans l’idée de faire un album original tout en y incluant ma version de « Tarkus », le titre de EMERSON LAKE AND PALMER (ELP). Quand j’en ai parlé au label et après y avoir réfléchi un peu plus, je me suis dit : « Pourquoi ne pas faire un projet où je recule dans le temps en reprenant quelques-uns de mes titres préférés du rock progressif, les chansons de ce genre qui m’ont le plus influencé ? ».

(DS) : Et donc GENESIS, GENTLE GIANT …

(J) : Oui, j’ai découvert ce style de musique à un point très intéressant de ma vie alors que j’étais un jeune pianiste classique qui effectuait la transition vers les synthétiseurs, le rock progressif et la musique électronique. Cela m’a donc paru important de revenir sur cette période en me lançant dans ce projet amusant d’album de reprises. Ces chansons furent intéressantes à travailler, car certaines d’entres elles sont plutôt compliquées et bien qu’elles fassent partie intégrante de mon style et que je les connaisse très bien, je ne me suis jamais arrêté pour prendre le temps de les apprendre. J’ai toujours été quelqu'un qui cherche à comprendre le style d’un titre plutôt que de rentrer dans les détails. Quand j’ai commencé à apprécier GENTLE GIANT ou ELP et à apprendre les harmonies utilisées dans leurs chansons, j’ai tout de suite essayé de composer dans le même esprit. Apprendre à jouer un titre spécifique ne m’a jamais attiré.

(DS) : Tu as pourtant participé à plusieurs albums de reprises auparavant …

(J) : Oui, quelques petites choses, mais je n’ai jamais été aussi loin dans la démarche.

(DS) : Tu mentionnes souvent « Tarkus » et ELP qui semblent avoir une place très importante dans ta phase de transition. Pourquoi ELP en particulier

(J) : C’était la première fois qu’une musique heavy était menée par les claviers et je me souviens qu’en écoutant cet album, je devais avoir 17 ans, j’étais en pleine admiration devant la puissance dégagée par les claviers. Les harmonies, l’utilisation des accords étendus, tout cela m’a ouvert tellement d’opportunités dans la vie ! Je me disais : « Maintenant que je sais que c’est possible avec des claviers, je peux faire de même ! ».

(DS) : Ce passage du classique au rock progressif était donc dû à une évolution personnelle plutôt qu’à une évolution technologique et l’arrivée des synthétiseurs ?

(J) : Et bien en fait, je pense que c’était un ensemble des deux ! Soudainement, je commençais à m’intéresser à ce nouveau genre de musique et naturellement, je m’intéressais aux instruments utilisés par ces musiciens. Mon premier synthé était un Minimoog ! J’avais découvert Rick Wakeman (YES) et j’avais fait des recherches quant à son matériel. Je découpais des photos de Minimoog dans les magazines et les collait aux murs de ma chambre !

(DS) : Étaient-ils aussi chers à l’époque ?

(J) : Ils devaient coûter environ 1000 dollars, ce qui représentait beaucoup d’argent !

(DS) : Sur The Road Home, tu reprends les meilleures formations du rock progressif : YES, GENTLE GIANT, GENESIS … cela a dû être difficile de s’arrêter à ces seules 7 chansons …

(J) : Effectivement, c’était un peu dur, mais certains de ces titres ont toujours été sur ma playlist. Bien sûr, il y en a d’autres, mais si quelqu’un me demandait : « Quelle est ta chanson phare du rock progressif ? », il est facile de s’orienter vers du GENESIS par exemple. Tous les titres de The Road Home répondraient à cette question à part peut-être la chanson de YES, car j’aime tellement de chansons de ce groupe, mais j’ai décidé de reprendre « Soundchaser » de Relayer parce que Patrick Moraz s’est occupé des claviers sur cet album. C’est d’ailleurs le seul album de YES avec Patrick et j’ai toujours pensé que celui-ci était différent à cause du style de Patrick qui était très différent de celui de Rick Wakeman et Tony Kay.

(DS) : L’album Relayer n’est pourtant pas l’album préféré des fans de YES.

(J) : Je pense que cet album est un peu moins connu, mais j’ai beaucoup d’affection pour lui parce que le jeu de Patrick Moraz m’a vraiment beaucoup influencé. Apprendre à utiliser le pitch-bend comme il le faisait, c’est un monde en soi. Si tu prends Rick Wakeman ou Keith Emerson, je ne pense pas qu’ils l’utilisent autant, ils n’ont pas la même approche que Patrick du synthé. J’ai voulu rendre hommage à cela et c’est pourquoi j’ai choisi ce titre de YES qui possède cette fabuleuse partie vocale en plus des synthés bien cool.

(DS) : C’est vrai qu’on peut vraiment sentir le style Rudess sur ces reprises : ton feeling, ton toucher sont reconnaissables entre mille, et spécialement sur les soli de claviers. J’ai aussi particulièrement été impressionné par le travail sur les sons de claviers qui, bien qu’étant différents des versions originales, ont cette touche rétro. Comment as-tu fait pour recréer les sons et l’atmosphère si particulière d’un titre comme « Tarkus » par exemple ?

(J) : J’utilise plusieurs éléments. L’enregistrement des claviers s’est bien sûr fait dans mon studio et j’ai donc tout mon matériel sous la main. Pour mes sons en général, j utilise principalement le Korg Oasis, le Roland Phantom et quelques Moogs, et je mixe un peu le tout. Pour cet album, quand j’ai voulu vraiment approfondir la question des sons, je me suis principalement servi du Phantom et de plusieurs Minimoog.

(DS) : Cela a dû être un boulot énorme de recréer ces sons ?

(J) : Et bien tu sais, si tu prends une chanson comme « Tarkus », je n’ai pas choisi d’utiliser tous ces sons d’orgues qui étaient sur l’original, tous les sons utilisés sur ma version sont presque tous mes sons originaux. Je n’ai pas cherché à utiliser tous ces Mellotrons si typiques de ces vieux enregistrements donc de ce côté, on s’éloigne des titres originaux.

(DS) : Toujours en parlant du choix des chansons, est-ce que les musiciens présents sur l’album ont eu une quelconque influence sur le choix des titres ?

(J) : Non pas vraiment. L’implication de tous les musiciens, à l’exception de Rod Morgenstein, se limitait au rôle d’invités. Tu sais, sur cet album, les instruments principaux sont les claviers et la batterie, il n’y a pas de guitare rythmique, pas de basse et tu t’en rends compte en écoutant attentivement. Les guitaristes présents sont donc des invités et j’ai pris soin de créer des endroits précis à l’intérieur de chaque titre pour les laisser s’exprimer au maximum tout en respectant mon idée de départ. Une fois que j’ai su qui allait prendre part à l’album, j’ai arrangé certaines sections en gardant à l’esprit ces musiciens. Par exemple, pour Ed Wynne (OZRIC TENTACLES), j’ai créé cette section en sachant qu’il allait la jouer avec son style si particulier. Et bien sûr pour le chant, je me demandais constamment : « Qui va se charger de cette section ? » et en fin de compte, tout s’assemble.

(DS) : Comment as-tu fait pour choisir les invités ? Est-ce que ce fut difficile d’obtenir l’accord de tout le monde ?

(J) : C’est toujours difficile. J’utilise généralement mes contacts personnels et les contacts du label.

(DS) : À voir les noms qui figurent sur l’album, tu t’en es bien sorti !

(J) : Certains musiciens qui jouent sur l’album m’ont été présentés par le label. Je ne connaissais pas BUMBLEFOOT (Ron Thal) par exemple.

(DS) : Comment s’est passé l’enregistrement ? As-tu rencontré tout le monde pour un briefing ? As-tu enregistré chaque invite ou recevais-tu les prises et mix de chacun au fur et à mesure ?

(J) : En fait, on a créé un site d’échange FTP sur lequel j’uploadais les fichiers. Ainsi, chacun pouvait les prendre à sa guise et les utiliser pour ajouter du MIDI, des parties écrites, des fichiers ProTools. Quand leur travail était fini, ils pouvaient remettre leur travail sur le site ou m’envoyer un CD. Chacun a fait à sa façon.

(DS) : Il y a-t-il eu des moments où tu n’étais pas satisfait des parties d’un invité ?

(J) : Pour la plupart, les invités qui font ce genre de projets sont des gens de confiance, ils enregistrent dans leur coin et quand ils t’envoient leurs parties, je sais que ça va coller. Ceci étant dit, il y a eu quelquefois où on s’est dit : « Tiens, tu sais pas, peut être qu’on pourrait faire cette partie différemment ? ».

(DS) : Il y avait donc toujours cette interaction avec les autres musiciens, un genre de jam par internet ?

(J) : Oui bien sûr ! Il y a beaucoup de discussions et d’interactions comme à la fin de l’enregistrement lorsque nous mixons l’album. Par exemple, avec Steven Wilson qui a chanté un peu sur « Stone Of Years » … un mec comme Steven non seulement est un excellent chanteur et un musicien complet, mais c’est aussi un producteur. Je porte donc beaucoup d’intérêt lorsqu’il me donne son avis sur le produit final. On mixait un titre, que j’envoyais ensuite à Steven en disant : « T’en penses quoi ? ». Ses commentaires étaient toujours intéressants, il pouvait par exemple suggérer un peu plus d’effet sur sa voix. On faisait alors les changements nécessaires et on lui demandait tout le temps son approbation. C’est Steven Wilson quand même ! Avec quelqu’un comme Kip (ndlr : Kip Winger qui chante sur quelques titres), c’était différent. Quand Kip nous renvoyait ses parties, elles étaient parfaites aussi bien au niveau de la performance que des effets.

(DS) : Est-ce que Kip est tout le temps si efficace ? Son travail vocal sur ton précédent album Rhythm Of Time était déjà impressionnant.

(J) : Sur Rhythm Of Time, Kip couvrait mon registre vocal alors que sur ce nouvel album, j’avais décidé de ne pas chanter et j’ai donc fait chanter Kip dans son propre style ce qui était bien plus facile pour lui. Cette fois-ci, c’est vraiment lui ! Ses parties étaient proches de la version finale, on a pu facilement les intégrer au reste.

(DS) : Combien de temps t’as t’il fallu pour tout enregistrer ?

(J) : J’ai travaillé seul dessus pendant à peu près 4 mois, mais j’étais tout le temps très occupé avec d’autres choses. Mais à chaque fois que j’avais une fenêtre de temps libre, j’allais dans mon studio et je bossais comme un fou. Quand je m’implique dans un projet de ce genre, j’aime me définir des objectifs précis.

(DS) : Le label t’avait-il donné des délais serrés ?

(J) : Bien sûr on avait des délais à tenir, mais le label nous avait laissés plus qu’assez de temps. À chaque fois que je me mettais au boulot, je savais que j’aurais un peu de temps devant moi, je ne m’y mettais pas pour ½ heure par jour, cette musique est bien trop recherchée pour ça. Si je savais que j’avais 2 jours de libre, je m’y mettais à fond pendant 2 jours puis je passais à autre chose en me disant : « Ok, là j’aurais 3 autres jours donc je m’y remettrais à fond à ce moment là ! ».

(DS) : Dans ce sens-là, c’est assez similaire de ta démarche lors de la composition de ton précédent album où tu t’es enfermé dans ton studio pendant 2 semaines !

(J) : Pour Rhythm Of Time, l’écriture était plus intense, 2 semaines de folie jusqu'à ce que j’en sois malade ! Cette fois c’était plus : enregistrement pendant quelques jours, une pause puis quelques semaines plus tard on recommence. Ça, c’était la première phase ; enregistrer mes parties. La seconde était plus difficile : la production de l’album, trouver les invités, s’assurer qu’ils ont tout ce qu’il faut, s’assurer que tout le monde respecte les délais. Et bien sûr mon ingénieur du son, John Guth, s’occupe de la majorité de cet aspect. C’est le meilleur pour s’assurer que chacun, peu importe la technologie qu’il utilise, puisse accéder aux fichiers de travail. Cela peut parfois être plus difficile qu’il n’y parait.

(DS) : As-tu reçu les impressions des musiciens originaux sur tes reprises ?

(J) : Sur mon site, il y a en effet quelques commentaires de Tony Banks, Keith Emerson, Jon Anderson. Je me suis dit que ce serait intéressant de les interroger et ils ont tous dit plein de bonnes choses à propos de l’album ce qui est très sympa !

(DS) : On se posait quelques questions sur la très belle pochette de The Road Home (ndlr : où l’on voit Jordan de dos qui s’en va vers une ville futuriste). Guillaume se demandait si tu tournais le dos à quelque chose de particulier ? Un genre de musique par exemple …

(J) : Je n’avais pas vraiment cette perspective en tête. Je ne tourne le dos à rien ni personne (rires), je me dirige plutôt vers un univers qui était vraiment cool, je retourne vers ce genre de musique que j’appréciais tant à mes débuts. Mais ce n’est qu’un aller-retour, une visite ! Cet artwork était mon concept, j’en avais parlé avec l’artiste qui s’en est chargé (ndlr : David Mattingly) et j’ai veillé à ce qu’il fasse ce que je voulais. Pour la petite histoire, mon voisin a pris cette photo de moi devant chez moi parce que l’artiste voulait une photo naturelle pour ensuite numériser le tout. C’est un excellent artiste, il s’était occupé de l’artwork pour Feeding The Wheel.

(DS) : Passons maintenant à ce Spontaneous Combustion de LIQUID TENSION EXPERIMENT. Les séances d’écriture des 2 albums de LIQUID TENSION EXPERIMENT étaient assez inhabituelles (ndlr : tout en studio sans maquette préalable) et ce mode de composition a été adopté par DREAM THEATER, au moins pour Six Degrees Of Inner Turbulence. Personnellement, préfères-tu ce mode de composition ?

(J) : Tu sais, quand je compose, personnellement, je le fais de beaucoup de façons différentes. Je peux être assis devant mon séquenceur, trouver 4 ou 8 mesures intéressantes puis y ajouter progressivement d’autres éléments. J’écris aussi parfois en utilisant la notation traditionnelle où je fais parfois les deux à la fois. Avec DREAM THEATER, le plus souvent, on a tendance à entrer en studio avec un germe d’idée et tout le monde apporte sa contribution. Ou alors on jamme et puis on voit où ça va. Si quelqu’un a des idées, on s’arrête, on essaie, on modifie, on ralentit le tout et on essaie de connecter le tout à une autre partie que l’on vient d'écrire. On essaie le tout, quelques lumières éclatent et il se passe quelque chose de magique ! Pour les albums de LIQUID TENSION EXPERIMENT, tout s’est fait très vite en studio en jetant des idées dans la pièce ! C’était la rencontre de 4 esprits créatifs. Nous avions le noyau dur de DREAM THEATER (Mike et John qui composent la majorité des titres du groupe) qui me rencontraient pour la première fois en me disant : « Hé ! Tu peux faire ça ? Si on ajoute cette idée, regarde tout ce qu’on peut faire ! ». C’était très sympa. C’était aussi très ouvert, n’importe quelle idée était sérieusement considérée.

(DS) : Toutes les pièces du puzzle s’assemblent ! Tony Levin … je suis sûr que tu l’as beaucoup écouté dans KING CRIMSON lors de ta période rock prog ?

(J) : Oui absolument ! Pour nous tous, jouer avec Tony Levin était un grand honneur. Et Tony était une addition intéressante au groupe parce que je m’entendais très bien avec Mike et John, car nous nous étions déjà rencontrés lorsqu’ils m’avaient offert d’intégrer DREAM THEATER Ca collait bien entre nous aussi bien au niveau personnel que musical, c’était du tout bon et LIQUID TENSION EXPERIMENT était la confirmation que nous allions faire du bon boulot ensemble. En même temps, nous apprenions à connaître Tony Levin et de par ma formation classique, il m’était possible de communiquer avec Tony beaucoup plus facilement que Mike et John et j’ai naturellement fini par devenir une sorte de traducteur entre Tony et Mike/John. Par exemple, si on se mettait à composer un truc un peu fou avec Mike et John, Tony me cherchait du regard en disant : « Bon ben c’est quoi ça ! Qu'est-ce qui se passe maintenant? » (rires). On s’arrêtait alors de jouer et j’écrivais le riff pour que Tony le comprenne. C’est un homme avec une excellente oreille musicale et il lit très bien à vue. Tout ce que nous écrivions avec Mike et John devait être traduit dans le monde de Tony.

(DS) : C’était donc un réel travail d’équipe, une équipe parfaite ?

(J) : Oui ça a bien fonctionné. C’était assez difficile pour moi d’être une sorte d’interprète, mais ça nous a vraiment permis de consolider nos liens. J’ai pu mettre tout le monde d’accord, les séances d’écriture se faisaient rapidement et sans encombre et le résultat était excellent ! Alors bien sûr quand John a reçu la nouvelle que sa femme avait perdu les eaux (ndlr : d’où la chanson « When The Water Breaks » !), il nous a naturellement quitté et l'opportunité s’est donc présentée de jouer en trio. Le studio nous était réservé, tous les instruments étaient branchés, nous avons décidé d’en tirer parti au maximum.

(DS) : C’est assez courageux de sortir un album composé de jams et morceaux de chansons, car vous vous exposez bien plus que sur un album studio …

(J) : Bien sûr, mais qu’est-ce qu’on a perdre ? (rires)

(DS) : Je pense qu’il est assez difficile de “rentrer” dans ce Spontaneous Combustion. Les jams, de par leur nature, manquent de structure et de points de repère pour l’auditeur. On a quand même le sentiment d’écouter une part d’histoire !

(J) : C’est ça ! C’était une période extra. On a longtemps vécu avec ces jams et on a souvent pensé que ce serait marrant de faire partager cette expérience aux fans.

(DS) : Saviez-vous, lorsque vous êtes entrés en studio, que John devrait quitter les sessions à un certain point pour être auprès de sa femme ?

(J) : Non, pas du tout ! Nous n’avions aucune idée que John s’absenterait et nous n’avions aucune idée que ces jams sortiraient un jour du studio. On voulait juste faire de la musique !

(DS) : Quand et pourquoi avez-vous pris la décision de sortir ces jams ?

(J) : On aurait voulu les sortir bien avant, mais tu sais il y a eu par le passé beaucoup de problèmes entre Magna Carta et certaines personnes autour de DREAM THEATER. Il y a aussi fallu que l’on retrouve les masters de l’enregistrement, tout cela a donc pris du temps. Enfin, après si longtemps, on a surmonté tout ça et Mike a retrouvé les enregistrements originaux donc on a décidé de se lancer

(DS) : Est ce qu’il t’arrive d’écouter le CD en te disant que certaines parties auraient pu être jouées différemment ?

(J) : Non. On passait juste du bon temps en improvisant tous ensemble !

(DS) : Penses-tu que cet “album” de LIQUID TENSION EXPERIMENT trouvera son public ? Selon toi, ce disque intéressera-t-il seulement les fans de DREAM THEATER et LIQUID TENSION EXPERIMENT ou penses-tu qu’il pourra intéresser les musiciens en particulier ? Quelques critiques ont écrit que ce CD était uniquement destiné aux musiciens qui apprécient ton jeu et celui de Mike, car on vous entend beaucoup. Personnellement, je pense que ces titres auraient plus eu leur place en tant que bonus parce qu’en tant qu’album, les jams sont assez difficiles d’accès et les morceaux sont inabordables si l’on n’est pas un fan inconditionnel de DREAM THEATER et LIQUID TENSION EXPERIMENT !

(J) : Je pense qu’il faut juste aimer la musique en général pour apprécier cet album. C’est bien sûr un plus si tu connais notre univers musical avant de l’aborder.

(DS) : On a parfois l’impression d’assister à l’écriture d’une petite part de l’histoire du prog. L’écriture des titres sous forme de jams est très Miles Davis dans l’âme, d’un album comme Bitches Brew par exemple.

(J) : Ouais c’est sûr, je pense que les jams ont vraiment bien tourné. Je pense que c’était un moment spécial dans notre histoire et je pense que c’est intéressant d’entendre ces musiciens composer. C’est une vue assez inhabituelle et tous ceux qui veulent tenter cette expérience sont les bienvenus !

(DS) : La question qui saute naturellement à l’esprit : penses-tu faire d’autres projets de ce genre dans le futur ? Pas obligatoirement avec les mêmes personnes, mais peut-être pourrais-tu assembler 4 ou 5 musiciens et te lancer …

(J) : Oui, c’est sûr que ce genre de projet est très amusant et si c’est possible dans le futur, on ferait bien un autre album de LIQUID TENSION EXPERIMENT. En fait, je ne sais pas si tu es au courant, mais nous avons prévu de faire un show aux États-Unis avec LIQUID TENSION EXPERIMENT en juin prochain. On va donc faire ce concert et bien qu’il n’y ait pas d’album prévu pour l’instant, on ne sait jamais.

(DS) : Tu crois que tu aurais le temps avec le rythme acharné avec lequel DREAM THEATER sort ses albums et les longues tournées ?

(J) : Oui je pense. Il y a du temps pour faire certaines choses. Pas autant que j en ai envie, mais c’est possible.

(DS) : Est-ce dû au rythme élevé des sorties et des concerts de DREAM THEATER ? Penses-tu que le groupe va se tenir à cette cadence ?

(J) : Non, le rythme est bon, il y a toujours un peu de temps pour faire un projet solo. Bien sûr, un peu plus de temps serait sympa, mais tu sais, à la fin de la dernière tournée, nous avons eu 5 ou 6 mois de repos.

(DS) : Vu de l’extérieur, on a l’impression qu’il se passe toujours quelque chose !

(J) : Ouais c’est sûr, il y a du boulot, mais on a quand même quelques mois pour se reposer.

(DS) : Quel est selon toi le profil d’un fan de Rudess ? La musique de tes albums solo a énormément changé depuis Listen (ndlr : un des premiers albums de Jordan). Est-ce que tu as conscience d’avoir évolué vers une musique bien plus heavy qu’à tes débuts et est-ce à cause de ton intégration dans DREAM THEATER ?

(J) : Je crois avoir été exposé à beaucoup de musique plus heavy. Le metal n’est pas nécessairement mon idéal musical, mais j’ai beaucoup appris au contact de ce style. J’approche mes compositions d’une manière plus agressive et j’ai aussi développé beaucoup de sons pour mes synthés, dont certains sont très cool et sonnent bien prog. Tout cela fait maintenant parti de mon style. Ma passion, en tant que compositeur, est d’intégrer toutes mes expériences et de les utiliser pour créer mon propre style. The Road Home est bien sur un cas à part, car basé sur le style d’autres musiciens bien que j’ai quand même essayé d’y apposer ma touche personnelle.

(DS) : Pour finir, y aura-t-il un successeur à l’excellent album du Rudess-Morgenstein Project ?

(J) : Ce serait sympa en effet. Tu sais, Rod a rencontré beaucoup de problèmes personnels ces derniers temps, il a perdu sa femme il y a plus d’un an maintenant. Nous avions commencé à travailler sur notre nouvel album ensemble et nous avons d’ailleurs accumulé beaucoup de matériel, mais nous n’arrêtions pas d’être interrompus dans l’écriture. J’ai tout de même beaucoup d’espoir.

(DS) : Merci beaucoup Jordan et bonne chance pour le concert de ce soir !

(J) : Merci à vous, c’était un plaisir !